Respirer de tout son corps

Le dos droit page 25 « Will Johnson : Respirer de tout son corps »

La méditation sert à créer les conditions dans lesquelles notre conception illusoire de la réalité, notamment la place que « je  » y occupe, pourra céder la place à l’expérience de la véritable réalité. Cependant, bien que le processus de transformation que le Bouddha nous exhorte à entreprendre ait lieu au cœur même de la conscience, notre quête ne doit pas commencer par la psychologie, mais bien par la physique.
Dans ses directives sur la respiration, le Bouddha dit d’abord de s’asseoir le dos droit et verticale. A l’époque du Bouddha, s’asseoir en posture de méditation signifiait s’asseoir en lotus ou en tailleur – par terre, genoux écartés et jambes repliées. De nos jours, une majorité de méditants s’assoient toujours en tailleur, mais certains aiment mieux s’agenouiller, soit sur un agenouilloir, soit avec un oreiller entre les jambes. D’autres, surtout en occident, préfèrent s’asseoir sur une chaise, trouvant trop inusité de s’asseoir ou de s’agenouiller par terre.
La position des jambes est beaucoup moins importante que celle du dos. Que vous soyez assis par terre en tailleur, agenouillé sur un banc, à califourchon sur un coussin ou même assis sur une chaise, les indications du Bouddha au sujet du dos sont formelles: il faut s’asseoir droit, le dos vertical et centré – ni courbé, ni arqué, ni penché à gauche ou à droite.
Il parait simple de s’asseoir le dos droit, mais quiconque a déjà participé à une retraite de méditation sait combien cela peut s’avérer difficile. Si l’on se force à s’asseoir droit comme un soldat au garde-à-vous, on introduit dans sa posture une tension qui rendra la respiration laborieuse. Si l’on s’asseoit sans tenir compte de la verticale, on tend à arrondir le dos, ce qui comprime la respiration. La consigne concernant le dos droit et verticale est aussi difficile à observer que toute autre indication du sutta.
S’asseoir le dos droit confère grâce et dignité, mais les directives du Bouddha n’ont rien à voir avec l’esthétique. elles ont plutôt à voir avec l’entendement de certaines prémisses de la physique newtonienne et l’application de principes d’ingénierie structural. En bref : les structures érigées suivant un axe principalement vertical sont supportées par la pesanteur, ou force de gravité, tandis que les autres doivent créer leur propre support.
Les architectes, les sculpteurs et les ingénieurs (de même que tout enfant qui déjà fabriqué un bonhomme de neige) savent depuis toujours que pour ériger une structure haute, droite et stable, il faut concevoir autour d’un axe central vertical. Les nouveaux matériaux résistants permettent aux architectes et aux ingénieurs d’imaginer et de construire des gratte-ciel de plus en plus hauts, mais c’est d’abord grâce à leur parfaite verticalité que ces structures peuvent atteindre des hauteurs vertigineuses. Si chaque étage d’un gratte-ciel repose bien équilibre sur le précédent, la pesanteur assurera la stabilité de tout l’édifice. Si, par contre, la forme du gratte-ciel s’écarte de la verticale, on n’obtiendra pas un édifice fonctionnel, mais plutôt une attraction touristique rappelant la Tour de Pise dont il a fallu consolider la fondation pour éviter un probable effondrement.
On ne peut échapper à l’apesanteur. Elle agit et agira toujours sur les corps. Mais on peut tendre à maintenir la colonne droite et poser la structure du corps autour d’un axe vertical. En jouant ainsi avec l’équilibre vertical, on n’arrive à traiter la pesanteur, non plus comme un phénomène à combattre, mais comme une source de soutien et de flottaison qui favorise la relaxation.
Mettons l’image des gratte-ciel de côté pour nous intéresser à Fallingwater ( la maison sur la cascade), cette célèbre demeure conçue par l’architecte visionnaire du vingtième siècle Franck Wright. Les étages en porte-à-faux de la construction semblent suspendus au-dessus de la cascade, prolongements audacieux depuis la structure centrale. Pour obtenir cette forme, les ingénieurs ont dû renforcer les étages à l’extrême, les fixant solidement à la structure principale de la maison établie sur la terre ferme. Sans un renforcement aussi solide, les étages n’auraient pas pu garder leur forme et seraient tombés dans la rivière.
Revenons maintenant à la méditation assise. De nombreux méditants adoptent une posture qui évoque Fallingwater, dans laquelle la tête et le cou s’écartent dangereusement de l’axe central du tronc. Les muscles du haut de leur dos et de leur nuque doivent maintenir une tension constante pour stabiliser le cou et la tête, sans quoi ces derniers viendraient s’appuyer sur la poitrine. Un méditant qui ne respecte pas la consigne du Bouddha au sujet du dos doit exercer une tension musculaire considérable pour ne pas piquer du nez. Or, cette tension et l’effort constant qu’elle exige obstruent la circulation du souffle dans le corps.
Le Bouddha commence donc par conseiller aux méditants de s’asseoir le dos droit et verticale, comme un séquoia au tronc parfaitement rectiligne, aux racines profondément enfoncées dans la terre et à la cime dressée vers le ciel. Pour être à l’aise dans cette posture lorsqu’on s’assied en tailleur, on placera d’abord part terre un tapis matelassé d’environ 75 cm carrés, qui adoucira le contact entre le plancher et vos pieds, chevilles et genoux. Sur ce tapis, près d’un des bords, on placera un oreiller ou un coussin qui servira de siège. Cet aménagement vous assurera une base triangulaire stable – le bassin légèrement surélevé et les deux genoux formant les angles du triangle – au-dessus de laquelle les segments majeurs du tronc – ventre, poitrine, épaule, cou et tête – pourront se superposer. Un corps droit et verticale n’a pas à faire appel à la tension musculaire pour se tenir. il peut donc se détendre, et la détente représente le principe de base qui rend possible la respiration par tout le corps. ( Pour une analyse plus détaillée des aspects structuraux de la posture verticale, le lecteur peut consulter the posture of méditation (Boston: Shambhala, 1996), du même auteur)
La nature de vos rapports avec la pesanteur dépend entièrement de l’alignement que vous donnez à votre posture assise. Si votre posture vous oblige à combattre la pesanteur, vous lutterez sans cesse et en vain, car cette posture génère la tension du corps et la contraction de l’esprit. si, au contraire, vous vous alliez à la pesanteur et acceptez son soutien comme un cadeau, vous pourrez laisser aller tout ce qui n’a plus besoin d’être retenu.